Attentats de Paris: trois fragments de réflexion

L’hypocrisie des « expressions de solidarité » du monde entier et ma propre vulnérabilité à cette illusion m’ont frappé en premier. Ensuite est venue l’évidence de l’historicité des événements et finalement, une réflexion sur la nature intérieure du mal terroriste.

  15 novembre 2015    4' de lecture

Quand l’incrédulité se voudrait solidarité

Deux jours après les ignobles attentats de Paris, les « expressions de solidarité à travers le monde », pour reprendre l’expression consacrée, battent leur plein. J’ose espérer que le point culminant a été atteint avec la possibilité de draper sa photo de profil Facebook de bleu-blanc-rouge d’un clic, parfaite symbiose entre marketing commercial et marketing personnel.

La solidarité et, à plus forte raison, le « soutien » mondial aux victimes, à la France, ne sont évidemment qu’un leurre, un glissement sémantique étrange dont chacun, y compris les journalistes qui en abusent, sait qu’il ne fait aucun sens. On devrait parler de « condoléances », d’expressions « d’incrédulité », à la limite d’expressions de « sympathie », qui font partie d’une vauge politesse internationale. Cela n’a rien de choquant: le monde entier ne peut pas être solidaire de la France, car il lui faudrait être prêt à payer un prix, à faire un sacrifice pour cette solidarité. Il est hypocrite de vouloir faire passer un vague sentiment de désapprobation et de surprise pour une profonde émotion et une touchante preuve de solidarité.

L’expatriation me rend particulièrement vulnérable à ce type de d’illusion. Après les attentats, l’attachement fantasmé s’est heurté, avec une force inattendue, au détachement réel. À l’étranger, il manque la perception totale, l’omniprésence de l’attaque (à la télévision, la radio, dans les rues, dans les conversations des passants), qui rend la peur, la compassion, la rage, peut-être, naturelle à ceux qui sont au plus près de l’événement. On essaye alors insidieusement de compenser l’aliénation, de se prouver la sincérité de son attachement à la Nation, alors même que l’impuissance de participer à sa fragile reconvalescence est flagrante. En réalité, on est tout simplement absent du véritable élan de solidarité, des policiers, médecins, riverains, simples citoyens, qui ont dû (et sû) faire face en pensant d’abord aux autres (que ce soit en secourant des blessés ou simplement en réconfortant un enfant cauchemardant après les attentats). Il faudra que je m’y fasse.

Un bouleversement

L’absence, le regard extérieur, permet peut-être aussi une plus grande lucidité. Si l’avenir est incertain, il n’en reste pas moins évident que ces attentats marqueront un bouleversement historique (au sens propre du terme) de la France et de l’idée que les Francais s’en font, incomparable avec les attentats des dernières années.

La réaction politique actuelle est naturellement dominée par l’empressement, la nécessité d’apporter des réponses immédiates. Ce qui est nouveau, c’est que le sentiment d’urgence va bien au-delà de l’impératif sécuritaire et judiciaire concernant la traque des responsables ; la portée des mesures mises en place ou proposées est hors du commun. Pour ne citer que quelques exemples: la déclaration de l’état d’urgence, dont la prolongation pour plusieurs mois est déjà examinée, le rassemblement du Parlement en Congrès à Versailles ou l’apparition de propositions stupéfiantes comme celle d’enfermer toute personne fichée comme islamiste ou qui consulterait des sites internet islamistes.

Des questions fondamentales, concernant l’équilibre entre liberté et sécurité, entre laïcité positive (en tant que liberté de religion) et négative (en tant que liberté de la religion), les relations avec l’Europe et le Proche-Orient se joueront non pas dans les prochaines années, mais dans les prochaines semaines. Le conservatisme politique Français s’est mué en un « hyperréformisme » inattendu et inquiétant.

Le défi intérieur

Le véritable défi est autrement plus fondamental que l’organisation des services de renseignement ou la réponse militaire adéquate aux attentats et il était connu bien avant ceux-ci. C’est la présence d’une importante et diverse filière islamiste nationale, trop large pour être surveillée et contenue, qui se nourrit d’une radicalisation islamiste d’une partie (pas nécessairement la plus démunie) de la jeunesse. On peut déclarer la guerre à Daech, probablement même l’anéantir (au prix d’efforts importants), mais on ne peut pas faire la guerre dans son propre pays. C’est en cela que la différence avec le 11 septembre 2001, avec un terrorisme purement extérieur, est essentielle.

La réponse intérieure aux attentats prendra, au mieux, une décennie, au cours de laquelle d’autres attentats semblent inévitables. Elle devra passer par une élimination de l’Islam radical en conjuguant la création d’un réel Islam de France (jusque-là serpent de mer de la politique d’intégration française), totalement indépendant d’influences (financières et idéologiques) étrangères, à un développement substantiel des moyens humains dédiés à la répression du terrorisme et l’islamisme en général ; il faut que les services de renseignement, de police et de justice ne soient plus débordés par la vague de retours de Syrie et d’Irak. Je ne vois, en revanche, ni la nécessité ni l’opportunité de nouvelles lois restreignant davantage les libertés individuelles.

Le plus compliqué sera de fondre cette réponse dans un nouveau pacte social, soutenu par le peuple uni, et qui rendra ces mesures acceptables pour ceux qui crient au laxisme d’un côté et pour ceux qui crient à l’islamophobie de l’autre. C’est à ce projet qu’il est impératif d’oeuvrer, ensemble et avec patience, pour sauver la cohésion de la République et la fidélité à ses principes.